L'inventeur de villes, publié chez Gaussen en 2013, est toujours disponible chez les "bons libraires" et directement chez l'éditeur David Gaussen, auprès de qui on peut se le procurer, soit en passant dans sa boutique au 37, rue du Côteau, Marseille 7e, soit en l'appelant au 06 99 56 47 97, soit en lui adressant un mail à david.gaussen@gmail.com ou en allant sur le site des éditions Gaussen www.editionsgaussen.fr. Vous pouvez aussi bien sûr via le formulaire de contact de ce blog m'en commander un exemplaire. Aux dernières nouvelles, le bouquin coûtait toujours 12 euros et comptait 112 pages sur un très beau papier bouffant au format 140 x205 mm. A la jaquette très réussie, illustrée d'une oeuvre du peintre Yves Krief, je me suis permis d'adjoindre pour cette parution en feuilleton des jaquettes "personnalisées" qui changeront à chaque épisode.
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21 - PUEBLA
A quelques dizaines de kilomètres de Mexico, Puebla semble somnoler sous un soleil de plomb. L’église de San Francisco domine un centre-ville à l’architecture coloniale sereine, d’autant plus coloniale qu’à sa fondation en 1531 par les Espagnols, Puebla de Los Angeles ne fut pas bâtie - comme beaucoup d’autres villes mexicaines le furent - sur l’emplacement d’une ville précolombienne. Puebla est en quelque sorte 100% espagnole. Et Puebla, remarquablement restaurée, est aujourd’hui inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Dans les décennies qui suivirent sa création, Puebla se développa à pas de géant, devenant la deuxième cité de la Nouvelle Espagne. A nous Français, Puebla rappelle aussi le mauvais souvenir de la tentative de conquête du Mexique au 19ème siècle. La bataille de Puebla, en 1862, vit les forces mexicaines du général Ignacio Zaragoza battre sans retour les forces françaises. Depuis lors, la ville porte même pour nom officiel Heroica Puebla de Zaragoza (« L’héroïque ville de Puebla de Zaragoza »), et le jour de la bataille, « El cinco de Mayo », est le jour de la fête nationale du Mexique... Que dire de plus ?
Eh, bien, laissez-moi vous raconter le souvenir que j’ai gardé de Puebla, qui est bien loin de cette carte postale architecturale et historique. J’ai découvert Puebla en arrivant en car depuis Mexico. Nous étions attendus par un garçon du cru, un journaliste et auteur de polars, Juan Hernandez Luna. Paix à son âme. Juan nous a fait visiter Puebla à sa manière. Sans négliger la beauté formelle de sa ville, ni son histoire, il n’a guère insisté sur cet aspect officiellement « touristique ». Juan a préféré nous faire voir de petits marchés, l’intérieur d’un théâtre, nous faire déguster un « mole » (un plat typique, à base de poulet et de chocolat) à la terrasse d’un restaurant et nous faire toucher du doigt les traces encore visibles dans les murs de la révolution mexicaine. Et puis il nous a amenés dans son bar. Chaque ville a un bar « caché », magique, où le temps, les modes, les genres, n’ont pas de prise. Je ne vous cèlerai pas l’adresse de celui de Marseille, je ne vous parlerai pas du « bar sans nom » d’Ajaccio, mais celui de Puebla est un des plus merveilleux du monde, et il m’est impossible ici de ne pas l’évoquer. Posé au bout du zinc, dans une pénombre poussiéreuse et éclatante à la fois, Juan semblait arborer le sourire du chat du Cheshire lorsque nous nous posâmes dans son antre. Nous y avons bu de la tequila dans de petits verres ouvragés et nous avons apprécié avec lui la manie du patron. L’homme est un collectionneur. Qui fait travailler ses clients. Ils lui ont ramené du monde entier quantité de petits objets qu’il a accumulés dans des vitrines qui au fil des années ont envahi son bistrot. « La Pasita », puisque tel est son nom, est un lieu encombré, suranné, où l’on boit en compagnie de centaines de petits artefacts inutiles : figurines en céramique, jeux de cartes, animaux miniature en faïence ou en bois, bustes de célébrités venues d’ailleurs, boîtes d’allumettes, dés à coudre, mignonnettes d’alcool, représentations de saints… Un puissant capharnaüm d’où émerge un folklore mondial rassurant et paisible. Dans ce lieu à l’écart, où la pensée chavire entre humour et nostalgie, les verres ont succédé aux verres, les rires aux rires et les histoires aux histoires. Certes, c’est le propre des estaminets, dans toutes les villes à travers le monde, que de produire cette léthargie active d’où parfois naissent les plus grands projets. Celui de Puebla recèle de la pure magie.
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Prochaine étape : Adelaïde.