L'inventeur de villes, publié chez Gaussen en 2013, est toujours disponible chez les "bons libraires" et directement chez l'éditeur David Gaussen, auprès de qui on peut se le procurer, soit en passant dans sa boutique au 37, rue du Côteau, Marseille 7e, soit en l'appelant au 06 99 56 47 97, soit en lui adressant un mail à david.gaussen@gmail.com ou en allant sur le site des éditions Gaussen www.editionsgaussen.fr. Vous pouvez aussi bien sûr via le formulaire de contact de ce blog m'en commander un exemplaire. Aux dernières nouvelles, le bouquin coûtait toujours 12 euros et comptait 112 pages sur un très beau papier bouffant au format 140 x205 mm. A la jaquette très réussie, illustrée d'une oeuvre du peintre Yves Krief, je me suis permis d'adjoindre pour cette parution en feuilleton des jaquettes "personnalisées" qui changeront à chaque épisode.
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17 - SEBORGA
Je suis un admirateur de O’Driscoll. John ? Patrice ? Fabrice, si ma mémoire ne me joue pas de tour. Appelons-le simplement O’Driscoll, ou même O’D, cela simplifiera les choses. O’D est un drôle de personnage, il a passé une partie de son existence à compiler les micro-états, pour finalement les coucher sur le papier dans un ouvrage unique en son genre, référence de tous les géographes de l’imaginaire. Dans le bouquin de O’D (« Ils ne siègent pas à l’ONU ») vous ne trouverez pas les Etats-Unis, la Chine et le Brésil, pas plus que l’Allemagne, l’Ouganda ou l’Australie, en revanche au fil des pages vous serez emportés dans la République Libre du Frioul (au large de Marseille), au royaume africain d’Erijian-Ekiti, ou dans la principauté ligure de Seborga…
Où ça ? A Seborga. Rien d’inventé ici. Seborga existe, existe bel et bien, refuse de faire partie de l’Italie et son sort aurait pu devenir celui de sa voisine Monaco. Il n’en fut rien. C’est en 954 que le fief de Seborga – ou Sabourg – est cédé aux abbés de Lérins par le comte de Vintimille. Pendant huit siècles, le village est une propriété ecclésiastique. Fin de la première période. Mais au début du dix-huitième siècle, en 1729, Amédée II de Sardaigne rachète le fief à l’Eglise, tout en conservant à l’abbé, jusqu’en 1740, le titre de Prince de Seborga. Toutefois, le prix de la transaction n’ayant jamais été réglé, Seborga ne figura plus ensuite sur les divers traités… Fin de la deuxième période. « Trou noir » de la géographie locale, Seborga réapparaît cependant dans la carte des états du roi de Sardaigne en 1779, comme faisant partie du comté de Nice. Lorsque le comté de Nice devient français, en 1860, Seborga devient tout naturellement une commune du département des Alpes-Maritimes, district de Menton, canton de Perinaldo. Fin de la troisième période, car aujourd’hui Seborga n’est plus en France, mais en Italie, pourquoi ? En 1815, lorsque la république de Gênes est annexée par la maison de Savoie, des réajustements administratifs eurent lieu, et c’est ainsi que Seborga fut retranchée du comté de Nice. Fin de la quatrième période, Seborga est désormais italienne… Sauf que, en 1963, s’appuyant sur le passé historique tumultueux de Seborga, les chevauchements de dates et d’appartenances, ainsi que son absence de nombreux registres et traités officiels, le fleuriste du village, Giorgio Carbone, décrète l’indépendance et se déclare Prince Giorgio 1er. Le plus cocasse est que le plébiscite organisé auprès de la population du village le porte en triomphe avec 304 voix contre 4 ! Oublié dans l’arrière-pays alors que le bord de mer voisin s’enrichissait du tourisme, Seborga devient dès lors un village touristique florissant, qui bat monnaie, édite des timbres, acquiert tous les attributs nécessaires à attiser la curiosité des estivants. Las, le prince Giorgio décède le 25 novembre 2009. Une régence est mise en place et cinq mois plus tard, le 25 avril 2010, Marcello Menegatto, 31 ans, entrepreneur dans le canton suisse du Tessin, ancien champion du monde d’offshore, est intronisé nouveau prince des 360 habitants de Seborga pour une durée de sept ans (renouvelables) sous le nom de Marcello 1er, ou « Son Immensité Marcello ». Il a battu par 89 voix contre 67 son rival Gian Luigi Morgia. "Je mettrai de l’ordre dans nos statuts et les documents qui prouvent notre origine et je poursuivrai notre lutte pour l’indépendance" a déclaré le nouveau prince lors de son intronisation.
Ainsi donc en est-il de la principauté de Seborga. Il vous suffit de quitter l’autoroute ligure peu après la frontière franco-italienne, à la sortie « Bordighera », puis de monter. N’allez pas vers la côte, ses hôtels et ses restaurants, non, enfoncez-vous dans la vallée du Borghetto, pas besoin d’aller bien loin, une dizaine de kilomètres à peine d’une route toute en tournants, passez Sasso di Bordighera, laissez le mont Nero et ses 607 mètres dominant la Méditerranée sur votre droite, et vous arriverez au bout de la vallée au village de Seborga, province de San Remo. Plus exactement vous entrerez dans la Principauté de Seborga, celle dont l’histoire vient de vous être rapportée. Vous garerez votre véhicule sur l’esplanade qui sert à la fois de parking et de place et vous découvrirez le charme kitsch d’une principauté qui n’en est peut-être pas une, ou pas encore, ou pas vraiment, mais qui sourira avec vous de sa fantaisie arrogante. Seborga frappe monnaie et imprime des timbres. Seborga vous délivrera un passeport et vous expliquera la joie héroïque et désespérée d’être un lieu différent, une tentative de pays vouée au retour dans le giron administratif ligure, italien, européen. Cependant, si Seborga peut lorgner vers Monaco avec dépit, d’autant que son nouveau prince y réside une partie de l’année, si Seborga peut se dire « pourquoi pas nous ? » peut-être ses habitants n’ont-ils rien en réalité à envier à leurs cousins monégasques. Paisible village de montagne, hier, principauté d’opérette aujourd’hui, Seborga reste une communauté s’appartenant à elle-même, dont l’autonomie au fond n’a jamais été réellement égratignée, si l’on entend par autonomie mode de vie, fréquentations, raison d’être. Alors qu’à Monaco, entre émirs venus du Golfe, mafieux russes et joueurs de tennis multicartes, que reste-t-il d’authentique, que reste-t-il de réel ? Qu’ont apporté les casinos, les banquiers et les princesses de cinéma à cet ancien village de pêcheurs devenu un des centres du monde, ou plus exactement un des nœuds de relations de sa superficialité. Quand le prince monégasque, hôte des puissants et ami des pouvoirs de l’argent, se tourne vers l’est et - par-dessus les crêtes alpines du Mont Grammont et de San Biagio della Cima - regarde, à quelques dizaines de kilomètres à peine, le prince de Seborga, peut-être voit-il alors plus de noblesse que dans son propre village livré à la concupiscence des puissants. Peut-être constate-t-il alors qu’il n’est plus maître chez lui, alors que Giorgio pendant les 37 ans de son règne, même s’il a peut-être rêvé de Monaco, a conservé à Seborga bien plus de vérité et de bien-être. Puissent nos princes rester aussi des hommes.
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Prochaine étape : Ryykstadd.