L'inventeur de villes, publié chez Gaussen en 2013, est toujours disponible chez les "bons libraires" et directement chez l'éditeur David Gaussen, auprès de qui on peut se le procurer, soit en passant dans sa boutique au 37, rue du Côteau, Marseille 7e, soit en l'appelant au 06 99 56 47 97, soit en lui adressant un mail à david.gaussen@gmail.com ou en allant sur le site des éditions Gaussen www.editionsgaussen.fr. Vous pouvez aussi bien sûr via le formulaire de contact de ce blog m'en commander un exemplaire. Aux dernières nouvelles, le bouquin coûtait toujours 12 euros et comptait 112 pages sur un très beau papier bouffant au format 140 x 205 mm. A la jaquette très réussie, illustrée d'une oeuvre du peintre Yves Krief, je me suis permis d'adjoindre pour cette parution en feuilleton des jaquettes de mon cru qui changeront à chaque "épisode".
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01 - COPENHAGUE
Il fait froid sur l’île d’Amager. Noël est passé, l’année nouvelle est arrivée. 1979. Le parking de la résidence est blanc. Blanc et glacé. Le vent lui aussi est glacé. C’est quoi ce pays ? Vi fryse, râle notre camarade Ben, « nous gelons », lance-t-il à qui veut bien l’entendre dans son danois à l’accent tunisien, « vi früuze », mais tout le monde le comprend et acquiesce. Comment ce Tunisien est venu se perdre ici, dans le territoire des Vikings, on se le demande. Il est pourtant là devant nous, sur la passerelle du bateau qui nous ramène de Pologne. En Pologne aussi « vi fryse ». Et je vous fais pas un dessin, « vi fryse » rudement, l’hiver dans ces coins-là, ça rigole pas. Présentement, ça glisse sous les godasses quand ça crisse pas dans la neige. Mon ami Louis-Marie et moi devons prendre la bagnole pour aller en ville. Avec des températures pareilles, elle démarre quand même, ça nous paraît invraisemblable mais c’est comme ça. On a protégé sa tête de delco par une bouteille de plastique découpée pour s’enrouler autour et la tenir au chaud, enfin je crois que c’est la tête de delco. Et puis on a recouvert le moteur d’une couverture de survie avant de fermer le capot. Beaucoup de soins portés à cette petite 2 CV. Mais ça marche. On peut quitter Grønjordsveg et tracer via Andersen boulevard jusqu’à une des rues proches du Strøget. Aujourd’hui, nous avons rendez-vous à la mairie avec un édile municipal qui est un des hommes à l’origine de Strøget. Strøget ? Qu’est-ce que c’est ? Déjà, essayez de le prononcer comme il faut, du genre streuehet ou au pire streuguett, de toute façon le danois est une langue qui se vomit, imprononçable pour un Français, et encore plus pour un Français sudiste. Strøget est une rue, une rue du centre-ville de Copenhague (en danois København, « le port des marchands », grosso modo), qui a cette particularité d’être une des toutes premières rues piétonnes d’Europe. Donc du monde occidental. C’est ce qui nous a menés jusqu’ici, un mémoire de maîtrise de géographie, dont le sujet n’est autre que Strøget. Prétexte, sûrement. Dans le midi, à cette époque-là, les jeunes mâles étaient fascinés par les jeunes femmes de Scandinavie. Les Suédoises avant tout. Mais pourquoi pas les Danoises ou les Norvégiennes, on n’avait rien contre non plus. Si je vous disais que cette fascination s’est heurtée à la froideur du climat vous ne le croiriez pas. Et pourtant. Ces quelques mois passés à Copenhague ce ne sont pas les Danoises qui les ont éclairés. C’est la découverte d’une ville. Elle est ici la première de la liste, car elle est la première - hors la « mienne » - où j’ai séjourné assez pour m’y croire parfois chez moi. Car c’est aussi de cela qu’il est question ici. Migrations et déracinements, nouveaux territoires que l’on se crée au fil du temps. A Copenhague, en 1979, les Tunisiens et les Algériens ne manquaient pas, qui tentaient de s’y créer un nouveau territoire. Mais je ne crois pas que les Danois les voyaient vraiment. Un brun pour eux c’était Français, ou « au pire » Italien ou Espagnol. Bien sûr, les choses ont changé, mais à l'époque les Algériens et les Tunisiens se faisaient appeler Jean-François ou Jean-Pierre, se prétendaient Français, et l’étaient pour les Danois. Le devenaient, d’une certaine manière. Car si on est toujours l’étranger de quelqu’un, on peut pourtant aussi soi-même changer d’identité. Il suffit parfois tout simplement de le vouloir.
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Prochain épisode : Marseille